Distribution
Auteur:
Raymond Queneau
Metteur en Scène
Rosine Proust
Avec
Geneviève Taillade, Marceline
Jean-Philippe Ancelle, Gabriel
Marie-Catherine Facundo, Zazie
Musique originale François Proust
Costumes Marie-Anne De Abreu
Décors Stéphane Caulier
Réalisation musicale Michel Lairot
Effets spéciaux Emmanuel Ferrand
La Pièce
On a tous en soi quelque chose de Zazie
Programmé du 22 octobre au 23 novembre par Michel de Maulne, directeur du Théâtre Molière - Maison de la Poésie, dans le cadre du festival "Les territoires d'Orphée", ce spectacle invitait le public à une descente, non pas aux enfers, mais dans la petite salle voûtée située en sous-sol de ce beau lieu de paroles, pour assister à un nouveau retour à la vie théâtrale de Zazie, dans une version intimiste, façon comédie musicale et cabaret, de Rosine Proust.
Le décor joliment coloré de Stéphane Caulier, les accessoires astucieusement miniaturisés, et les costumes bien choisis de Marie-Anne de Abreu, donnaient l'impression de pénétrer dans une amusante maison de poupée, à l'image de l'humour qui marque l'oeuvre de Raymond Queneau. Un perroquet surréaliste, trônant dans le couloir d'entrée en véritable cerbère de l'univers tendre de Marceline et Gabriel (tante et oncle de Zazie), nous rappela, avec son répétitif "Tu causes, tu causes c'est tout ce que tu sais faire!", combien cet auteur se méfiait du langage, jusqu'à en rechercher les formes les plus libres et les plus ludiques, comme pour mieux l'exorciser.
C'est avec un art évident du détail, sans doute inhérent à son expérience de professeur d'art dramatique, que la comédienne et metteur en scène Rosine Proust - séduite par le verbe et la verve de Queneau, qui l'ont conduite, comme elle le précise, à adapter ce roman à la scène - s'est emparée de Zazie dans le métro, et su'elle a rendu compte avec justesse, et parfois, semble-t-il, avec un brin de nostalgie, de ce microcosme des années soixante. Elle a su notamment mettre en valeur la dimension poétique du rman, en soulignant le caractère émouvant des personnages de Marceline et Gabriel, dont les interprètes, Geneviève Taillade, comédienne et soprano, et Jean-Philippe Ancelle, comédien, chanteur tous deux rompus à un large répertoire, offrirent l'image d'un couple attachant, y compris et peut-être même surtout dans ses aspects parfois désuets au regard de l'évolution actuelle des moeurs. Pareil portrait, tracé avec sensibilité et sobriété, ne pouvait que renforcer l'apparition contrastée de Zazie, personnage immortel, irrévérencieuse à souhait, ancêtre à sa manière de l'Agrippine Brétécherienne, venue bousculer le quotidien de ses tonton et tata, tout comme son créateur aimait bouleverser l'ordre des mots. Encore fallait-il trouver une comédienne capable de toucher le spectateur daujourd'hui. Inutile de chercher des poux dans la tête de Rosine Proust, quant à son choix de Mrie-Christine Facundo pour interpréter l'héroïne de "ses puces à Zazie". Selon l'expression de son personnage, cette comédienne de dix-huit ans n'est pas "une mouflette" du théâtre, puisque "formée" : Théâtre d'aujourd'hui, Gradiva production (compagnie de Rosine Proust) et autres..., Révélation du spectacle, elle semble aussi à l'aise dans son rôle que dans ses jeans. Les interrogations de celle-ci, ses révoltes, sa fugue, sa déambulation au marché aux puces ("ses puces!"), ses provocations, l'explosion de sa sensualité, son insolence, sa fragilité et sa quête d'amour, sont autant d'éléments qui font l'intemporalité du propos, et qui justifient pleinement l'intérêt de Rosine Proust pour cette petite fille du baby-boom et les résonances actuelles de son époque. Zazie "veut aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans, jusqu'à la retraite!". Elle veut être institutrice "pour faire chier les mômes!", malgré les paroles de Gabriel lui expliquant que l'éducation moderne va vers la douceur". Qui sait si certains gosses de nos banlieues n'ont pas, dans un autre contexte, le désir d'être flics pour faire chier "les sauvageons" ? Gabriel qui se plaint "de n'entendre plus guère que des radios qui bafouillent", serait-elle aujourd'hui saturée de télé-réalité ou invitée de "ça se discute" sur le thème "travestisme et double-vie" ? Quant à la tendre et romantique Marceline, elle serait vraisemblablement une cible idéale des radios généraliste dans les tranches horaires du matin et de l'après-midi, pour une émission consacrée aux femmes au foyer. Enfin, on imagine bien Zazie surfer sur internet pour tout savoir de l'"hormosexualité". Agrémentée des notes de François Proust qui a mis en musique les poèmes (surprises qui ne laisseront pas indifférents les professeurs), d'une amusante utilisation de la vidéo que l'on doit à une idée originale de Rosine Proust, et avec une réalisation musicale de Michel Lairot, voilà donc une comédie qu'on peut voir en famille et qui constitue un utile support pédagogique pour tous les enseignants et éducateurs qui souhaiteraient introduire un débat de société sans complaisance avec les jeunes. C'est aussi l'occasion, en cette période de Novarina-mania, de mesurer l'importance du rôle de Queneau dans l'utilisation et le renouvellement du langage, Avec "Les Puces à Zazie", Rosine Proust s'est mise à la recherche du temps que d'aucuns auraient pu croire perdu. Elle a prouvé le contraire et le pubic s'y est retrouvé.
Pierre Corbeau